THE CEIMSA DOSSIER

UNIVERSITE STEHDHAL-GRENOBLE 3

(2005)

 

DOCUMENT 60

"La censure académique" : article publié dans le journal Rapport de Forces des étudiants de l'Université Paris lV (RAPPORT DE FORCES, LE JOURNAL DE L'AGEPS-UNEF, N° 2, JANVIER/FEVRIER 2005. TEL: 01.40.46.32.27 at La Sorbonne).

"La censure académique", an article published in the French student newspaper, Rapport de Forces, at Paris IV University (From RAPPORT DE FORCES, LE JOURNAL DE L'AGEPS-UNEF, No.2, JANVIER/FEVRIER 2005. TEL: 01.40.46.32.27 at La Sorbonne).

 

 

De la censure académique

par Clea Caulcutt

 

INTRO : Le 3 Mars prochain, Susan George, vice-présidente d’ATTAC, animera une conférence de presse internationale en défense du centre d’études des institutions et des mouvements sociaux américains (CEIMSA), qui a été récemment dissout par l’administration de l’université

Grenoble 3.

 

‘J'en profite pour t'informer que nous t'enverrons prochainement, le Président et moi, une lettre prenant acte de "l'extinction" du CEIMSA et te demandant d'en tirer toutes les conséquences institutionnelles.’ écrivit M. Lafon, vice-président du conseil scientifique (CS) de Grenoble 3 dans un courriel adressé au directeur du CEIMSA. C’est ainsi que, le 12 Juin 2004, Professeur F. Feeley fut informé, si peu formellement et sans discussion, de la dissolution prochaine du centre de recherche. Celui-ci, consacré à l’étude de la politique et de la culture aux Etats-Unis, est devenu une référence parmi les américanistes français qui s’intéressent aux mouvements sociaux américains. Après réception de ce courriel, les démarches de dissolution du centre s’enchaînèrent très vite. Le 30 juin, le webmaster de l’université l’informe que le site du centre, contenant 3000 pages d’actes de colloques et de publications, sera ‘ôté’ du serveur universitaire. Le lendemain, il n’existe plus de traces de l’existence passée ou présente du CEIMSA sur le site de la fac. La mort administrative et virtuelle du centre est entérinée alors que le centre fonctionne encore, que des étudiants y sont affiliés ou qu’ils se servent de son site internet.

            Malgré les longs mois d’été, la contre-offensive étudiante et académique s’organise. Il en est à croire que l’administration espérait, tel Raffarin, que la chaleur estivale étoufferait la contestation. Néanmoins, le centre obtient vite le soutien des syndicats universitaires tels que le syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS), le syndicat national de l’enseignement supérieur (SNESUP), et d’associations tels qu’ATTAC, Raisons d’agir et les amis du Monde Diplomatique. En octobre 2004, UNEF-Grenoble se prononce unanimement pour le soutien au centre et à ses étudiants affiliés. Multipliant les demandes d’explications restées sans suite, le directeur du centre s’engage des procédures légales contre l’administration de l’université. En décembre 2004, le comité étudiant en défense du CEIMSA est formé par des étudiants en DEA Anglais et organise des signatures de pétitions et un fond de soutien. En dépit de cette opposition, l’administration s’entête à dissoudre le seul centre de recherche de civilisation américaine de Grenoble. Celle-ci oblige ainsi les doctorants à s’inscrire dans une université voisine afin de continuer leurs recherches à Grenoble.  Qu’est-ce qui a bien pu motiver un tel acharnement ?

            Depuis sa création en 2000, le centre organisait des conférences, ateliers et travaux autour de thèmes de la politique contemporaine des Etats-Unis tels que l’impact sociale des grandes entreprises, le militarisme américain ou les médias et la démocratie. Le centre était surtout connu du milieu étudiant pour ses colloques internationaux qui ressemblait jusqu’à 2000 participants. En 2003, par exemple, le centre accueillait Howard Zinn, un grand historien de la gauche américaine, pour parler des mouvements de dissidents contemporains. A peine deux mois avant sa dissolution, le CEIMSA organisait un colloque sur la culture politique au Etats-Unis à l’occasion de la publication du livre Ces truands qui nous gouvernent (Editions du Croquant, 2004) traduit grâce à la participation des étudiants. L’administration cherchait donc à éliminer les travaux d’un centre en pleine activité.  

            Il parait choquant voire hystérique de parler de censure aujourd’hui. La ‘censure’ appartient à un lexique que nous n’employons guère, à un discours démodé de la dictature soviétique. C’est un terme qui a été relégué au fond des manuels d’histoire où il apparaît dans les grandes narrations de la révolution française. La censure est obsolète aujourd’hui ; rien n’est interdit. Les derniers relents vichystes et négationnistes de Bruno Gollnisch et Jean-Marie Le Pen sembleraient presque démontrer qu’il y aurait parfois trop de liberté d’expression… Et pourtant, comme d’autres instruments de contrôle social, la censure s’est sophistiquée alors que notre société évoluait. La censure s’est déresponsabilisée et est devenu, pour ainsi dire, structurelle. C’est ainsi que, par un jeu de filtres et prérogatives de rentabilité, Chomsky et d’autres explique le fonctionnement de la censure médiatique.

            Qu’en est-il donc du monde universitaire ? Nous n’arguerons pas que l’éducation supérieure n’a pas ses propres mécanismes de sélection mais que celle-ci se distingue du privé par son caractère démocratique et par sa transparence. C’est pour cela que les démarches de l’administration de Grenoble 3 nous semblent étonnement agressives.

Que faisait donc ce centre pour susciter une telle antipathie ? Quelques pistes émergent des courriels émis par l’administration. Dans le courriel annonçant la fermeture du centre, le vice-président du C. S. blâmait le ‘fonctionnement très atypique’ du centre, puis, dans un autre courriel daté du 16 septembre 2004, Mme Massol, professeur de Grenoble 3, faisait référence au caractère peu ‘scientifique’ et à la gestion dite ‘désastreuse’ du centre. Quoi qu’il en soit, ni la gestion, ni la nature des recherches du centre n’ont été débattu par le CS, seul organe habilité à créer et à dissoudre les centres dit émergeants. Le CS a toutefois débattu d’une question d’ordre budgétaire, qui fut utilisé a posteriori comme raison suffisante pour justifier la dissolution du centre. Par ailleurs les demandes d’audience du professeur Feeley auprès du CS ont toutes été refusées : apparemment l’ordre du jour était, à chaque fois, complet. Etonnement, cette nouvelle orientation de l’administration émergeait suite à l’élection du nouveau président M. Chézaud. Et enfin, la ‘lettre prenant acte de l'extinction du CEIMSA’ annoncée le 12 juin 2004, n’était, à la date du 1 février 2005, pas encore parvenue au directeur du centre CEIMSA…  

Les lettres de soutien, envoyés par des étudiants, chercheurs, journalistes et d’autres amis du centre, sont en revanche très explicites sur ce que le centre aurait d’atypique ou de d’exceptionnel. Selon Susan George, dans un courriel adressé au président de l’université de Grenoble, le centre serait ‘un des trop rares endroits en dehors des Etats-unis où l’on peut apprendre qu’une Amérique autre que celle de George W. Bush existe, écrit, publie, enseigne, se fait entendre’. Pour Pierre Saramento, membre du SNCS, le centre explore les conflits et les contradictions américains au ‘lieu de dispenser au public français les analyses "politiquement correctes", insipides et pleines de non-dits des courants de pensée "bien en cour" sur l'histoire et la société des Etats-Unis’.

Il n’y a aucun doute que la suppression du site du CEIMSA est un cas de répression de la liberté académique. Les actes des colloques, propriété intellectuelle de Grenoble, ne sont désormais accessibles que grâce à l’université de Californie militant pour la défense de la recherche. Il ne peut être nié que le conseil scientifique a été instrumentalisé par le nouveau président qui, singulièrement, n’a cessé de chercher à légitimiser son action en faisant maintes références au ‘règlement’ et aux quelques décisions prises par le CS. Enfin ce cas de censure académique augure on ne peut plus mal de l’augmentation du pouvoir des présidents universitaires prévue par le pré-projet de loi de ‘Modernisation Universitaire’ mis en veilleuse suite aux mouvements étudiants de décembre 2003.  

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Texte photo : Jim Hightower, auteur de Ces truands qui nous gouvernent, avec un étudiant de Grenoble 3 en avril 2004.