Ukraine II
Christian de Montlibert
Professeur émérite à
l’Université Marc Bloch
(April 2022)
La volonté de l’Allemagne d’abord
puis des USA de s’emparer et de dominer l’Ukraine est ancienne, écrit Annie
Lacroix-Riz à qui j’emprunte ces informations. Les Habsbourg puis les
Hohenzollern puis Bismarck en ont rêvé et ont mis en pratique leurs ambitions
avant et après la Première guerre mondiale. Le Reich impérialiste était soutenu
dans sa « poussée vers l’Est » (Drang nach Osten), par la Curie pontificale.
L’Allemagne soutenait et finançait les nationalistes ukrainiens et baltes pour
tailler en pièces la Russie et soutenir les grands propriétaires fonciers dans
leur accaparement des terres agricoles. Le grand bénéficiaire du financement
allemand fut l’«Organisation des Ukrainiens nationalistes » (OUN), fondée par
Stefan Bandera, « chef de l’organisation terroriste ukrainienne en Pologne »
(Galicie orientale), et ses fidèles lieutenants Mykolaev Lebed et Iaroslav Stetsko : tous étaient aussi violemment anti-polonais
qu’anticommunistes, russophobes et antisémites. Les membres des deux OUN,
furent associés aux préparatifs de l’occupation de la Pologne, puis à ceux de
Barbarossa. Comme le montrent des historiens étatsuniens et une historienne
française, les « banderistes
» formèrent une partie des effectifs de la 14e Légion des Waffen SS Galicia (1943-1944), « massacreurs sans répit, bénis et
encouragés à l’ouvrage par les clercs uniates, prélats et prêtres, bras et
espions du Vatican » comme l’écrit Annie Lacroix-Riz A .[1]
Le capital financier américain,
tenant la Chine pour sa chasse gardée, avait simultanément combattu l’expansion
à l’Est de l’impérialisme russe. Bien avant la prise du Palais d’hiver, il
détestait au moins autant que l’Angleterre la Russie, dont les ressources
l’alléchaient autant que celles de la Chine. La grande banque américaine
s’était associée aux menées allemandes entre les deux guerres. Dès 1944 les USA
envisageaient et soutenaient la renaissance d’Etas alliés (Pologne, Finlande,
pays baltes et Roumanie) pour contrer l URSS. Dès 1948 la liquidation de l’URSS
et l’occupation de l’Ukraine furent un des objectifs des USA ce que des
historiens américains comme Gregor Mitrovitch,
Richard Aldrich, Benjamin Tromly ont bien montré. Les
USA vont vite prendre le relais des nazis pour soutenir les banderistes et tous les groupes
nationalistes ukrainiens soutenus en cela par le Vatican (sources archives
déclassifiées du département d’Etat).[2] Il
est vrai que dans les années 1920 les pays occidentaux ont conduit une guerre
contre le communisme dans laquelle les contingents anglais et français
opéraient en Ukraine alors que le contingent US opérait en Sibérie.
L’URSS était l’ennemie du capitalisme
américain et le demeure bien après la capitulation de l’Allemagne nazie comme
le montre la signature du Pacte atlantique de 1949 dans lequel les USA ont
envisagé d’utiliser « la chair à canon » des européens pour les combats au sol
contre la Russie alors qu’ils se réservaient des bases aéronavales pour les bombardements
(Ces déclarations cyniques du représentant US déclencheront une polémique).
Plus tard, en Avril 2008, à Bucarest, les USA ont prévu de faciliter l’entrée
de l’Ukraine dans l’OTAN, d’aider au rapprochement de l’Ukraine avec les autres
pays européens et de souhaiter voir s’installer en Ukraine une « démocratie
libérale pro américaine ». Ce projet sera ratifié par un traité USA-Ukraine le
19 décembre 2008. Depuis les USA n’ont pas cessé de développer une politique de
«containment » de la Russie assise sur une ceinture
de missiles et d’antimissiles au sol (200 milliards de dollars y ont été
consacrés), sur un système de radars Aegis Ashore inauguré à Deveselu en
Roumanie en 2016 et sur le système THAAD dans l’espace (système de missiles de
haute altitude) poursuivant en cela le plan Reagan de « guerre des étoiles ».
Plus récemment encore, en novembre 2021, les USA ont signé un traité permettant
« l’interopérabilité » des armées USA –Ukraine contournant ainsi
l’impossibilité faite à l’Ukraine d’adhérer à l’OTAN. La charte signée dans son
préambule « affirment les engagements pris pour renforcer le partenariat
stratégique Ukraine Etats Unis par les présidents Zelenski et Biden le premier septembre 2021 ». Cette charte soutient
que l’Ukraine aura l’appui des USA dans sa volonté de récupérer le Donbass et
la Crimée (Section II article 1).
La proposition nord
américaine avait de quoi séduire un pouvoir ukrainien largement acquis à des
prises de position hostiles à la Russie. Depuis la fin de l’URSS les groupes
nationalistes ukrainiens ont relevé la tête. Ces groupes sont les héritiers des
bandes dirigées par Stépan Bandera (Bandera collabore avec l’Allemagne nazie et
crée la légion ukrainienne sous commandement de la Wehrmacht ; la légion
participe aux massacres des juifs ; en 1944 il entraine et arme des combattants
ukrainiens à lutter contre l’avancée des troupes soviétiques. Les groupes nationalistes
ont obtenu une commémoration du jour de naissance de Bandera ; il possède sa
statue à Lviv. Le centre Simon Wiesenthal rappelle
que les collaborateurs ukrainiens des nazis ont participé à la Shoah et ont
assassinés plus de 33 000 juifs. Svoboda, Secteur droit, Azov, Patriotes,
Légion ukrainienne, Parti social nationaliste ukrainien, etc. autant de groupes
nationalistes d’extrême droite actifs en Ukraine développent eux aussi l’antisémitisme.
Ces milices d’extrême droite ont bénéficié d’un appui considérable après les
échecs de l’armée ukrainienne à imposer sa force dans le Donbass. Elles
atteindraient plus de cent mille hommes venus de différents pays.
Le groupe de Svoboda, dont
l’emblème est une croix gammée oblique, se révèle être l’héritier de l’Armée insurrectionnelle
ukrainienne qui collabora avec les nazis et se livra aux massacres des juifs de
Galicie ; son antisémitisme l’a conduit récemment à pourchasser des juifs
hassidiques venus en pèlerinage.
Secteur droit est un groupe décrit comme « fasciste » par the Time, « néo fasciste » par
Die Welt, qui distribuera à Kiev d’après Haaretz des
exemplaires de Mein Kampf et du Protocole de sages de Sion, qui participe à des chasses aux
homosexuels et pratiquera le blocus de la Crimée russophone.
Azov est un régiment de volontaires d’extrême droite animé par un noyau néo
–nazi. Dès 2014 Azov s’engage dans la lutte contre les russophones du Donbass
avec des pratiques expéditives (tortures, exécutions d’après Amnesty international).
Il a été dirigé par Andryi Biletsky
qui a contribué au développement du Parti social nationaliste ukrainien puis du
parti « Patriotes » (son insigne rappelle la croix gammée). En 2016 le régiment
Azov s’empare de Marioupol, arrête les militants pro-russes et militarise
l’occupation de la ville. Le groupe Azov et autres groupes d’extrême droite, en
octobre 2019, manifesteront et feront pression sur le gouvernement pour
empêcher l’application des accords de Minsk.
Patriote, est une organisation para militaire fortement anti sémite ; très actifs
durant les manifestations de la place Maïdan ils
incendient des bâtiments administratifs. Ils se réclament de la défense de la
race blanche et luttent contre le sionisme.
Les USA ont soutenus ces
néo-nazis depuis 1946 et les ont incités a renverser le gouvernement en 2004 et
surtout en 2014 .Ces groupes ont été d’autant plus actifs que les élections qui
se déroulent avant les évènements de la place Maîdan
montrent que la partie Est de l’Ukraine vote à plus de 80 % pour des candidats
favorables au rapprochement ou même au rattachement à la Russie alors que la
partie Ouest vote à 80% et plus pour des candidats nationalistes quant ce n’est
d’extrême droite. Les violences de groupes d’extrême droite contre les
russophones de l’Est s’amplifient durant toute cette période. En Novembre 2013
ces groupes vont détourner des manifestations populaires. .En maniant des gourdins,
des cocktails Molotov et des armes, ils sauront chasser les russophones,
renverser le gouvernement et occuper le pouvoir d’Etat. Cette « révolution
orange » a été financée par au moins deux milliardaires ukrainiens : Iola Timochenko
qui a construit sa fortune sur l’exploitation et la vente du gaz et du pétrole,
qui sera premier ministre, ministre, députée nationaliste. Elle a fondée le
parti d’extrême droite «Patrie » et Kolomoïsky, autre
oligarque, souvent allié de Timochenko, qui finance largement le groupe «
secteur droit » et a offert « un million à qui assassinerait un député pro
russe ». °
Le Président de l’Ukraine est
actuellement entouré d’anciens membres de ces groupes d’extrême droite qui, respectabilité
oblige, ont plus ou moins officiellement démissionné de leur appartenance mais
n’ont en rien renié leurs idées. On pourrait citer à titre d’exemples Andryi Biletsky, Dmytro Yarosh et Arsen Avakov mis en cause par le
Grand Rabbin de Kiev pour ses prises de position extrémistes «douteuses »… Les
mesures discriminatoires contre la partie russophone de l’Ukraine,
particulièrement dans le Donbass, (interdiction de la langue russe, non
paiement des retraites des anciens militaires de l Armée Rouge) puis la guerre
contre les « séparatistes » vont conduire a une forte émigration vers la
Russie. L’Ukraine se révèle être ainsi un centre très actif de lutte contre la
Russie.
Alors qu’aux USA la presse peut
parfois ouvrir ses colonnes à des prises de position divergentes - que des
travaux d’historiens s’efforcent d’expliquer le clivage entre l’Est et l’Ouest
de l’Ukraine alors que d’autres comme Richard Breitman
professeur à l’Université de Washington ou Norman Goda professeur à l’Université
de Floride,(dont les travaux sont publiés par les Archives nationales du
département d’Etat et par les Cambridge University Press) n’hésitent pas à montrer l’importance de la
collaboration des nationalistes ukrainiens avec les nazis, que des spécialistes
de sciences politiques, comme John Mearsheimer,
professeur à l’université de Chicago, affirment que les USA ont une
responsabilité dans la guerre actuelle ou qu’un intellectuel médiatique comme Noam Chomsky rappelant la neutralité du Mexique invente la fable
d’une Chine soutenant un gouvernement mexicain désireux d’installer des
missiles le long de la frontière texane et demande aux lecteurs d’imaginer la
réaction des USA - la France se caractérise par ses positions de propagande anti-russe. Ne laissant aucune voix discordante s’exprimer
même lorsqu’elles ont extrêmement documentées, cette position anti russe a été
fabriquée par des intellectuels qui ont systématiquement déprécié les avancées
sociales des pays communistes et qui ont crée une équivalence entre Hitler et
Staline, entre les camps de concentration nazis et les camps de travail
staliniens, entre les crimes de la Shoah et les morts du Goulag ( équivalence
que le directeur du centre Simon Wiesenthal n’hésite
pas à qualifier de « bobard »). Les pays sous la coupe des USA vivent dans un
univers de fantasmes croyant que la Russie actuelle veut ressusciter son ancien
empire et que Wladimir Poutine, en successeur de Joseph Staline, ne peut être
qu’un dictateur paranoïaque.
Alors que la Russie n’est pas intervenue
directement durant la guerre du Donbass - au grand regret des populations russophones
- il semble que l’intervention du 20 février visait à empêcher une agression
militaire ukrainienne contre les zones russophones du Donbass qui aurait reçu
le feu vert de Kamala Harris le 19 février. Reste que la tactique militaire russe
cherche à minimiser les victimes parmi les civils (c’est toujours trop !) à l
inverse des bombardements de la Deuxième guerre mondiale (le bombardement de
Dresde aurait tué plus de deux cent mille personnes). L’armée russe vise avant
tout les snippers ukrainiens qui ont transformé des appartements dans des
immeubles d’habitation en postes de tir ou qui utilisent des bâtiments publics
comme bases militaires. Les bombardements du théâtre de Marioupol et de la
maternité ne sont pas russes mais ukrainiens. La Russie ne veut pas détruire
l’Ukraine, et encore moins Kiev, mais créer un Etat tampon qui empêcherait l
OTAN –USA de s’approcher trop près de ses frontières et sans doute soutenir et peut-être
contrôler les régions russophones du sud-est et de la mer d’Azov. De fait la
Russie, depuis 2008, réclame une réorganisation des systèmes de sécurité
repensant l’Otan et sa sujétion aux volontés des USA. Faute d’avoir été
écoutée, la Russie, face au danger que représentaient les accords USA –Ukraine,
a choisi une campagne militaire pour faire pression sur les instances
internationales pour les amener à repenser les accords internationaux.
- Sous jacent aux luttes autour de la sécurité qui opposent les USA et la
Russie se déroule une lutte sans merci qui a pour objet la domination
capitaliste. Le capitalisme étatsunien est en guerre contre le capitalisme
russe et contre le «capitalisme » (le terme est impropre) chinois pour
s’emparer des marchés, des productions agricoles et industrielles, des matières
premières et des voies de communication. Reste que, pour le moment, les
industries d’armement dont surtout les industries nord américaines réalisent
des profits substantiels (l’action du sous traitant Lockheed Martin a gagné 20%
en une semaine) ou l’espèrent, comme celles qui proposent de reconstruire les
bâtiments détruits. L’hostilité à l’encontre de la Russie trouve sans doute là,
dans les ressorts d’une économie nord américaine en relative perte de vitesse,
une de ses forces les plus actives toujours prête à trouver une légitimation
dans des arguments idéologiques. L’autre force est la capacité militaire toute
puissante des USA qui les conduit à voir les deux autres grandes puissances que
sont la Chine et la Russie comme des concurrents-ennemis. Se débarrasser d’une
Russie « affaiblie et isolée » « en portant des coups à la stabilité de l’Etat
russe et en s’appuyant sur un Occident plus fort, plus unifié et plus déterminé
» comme l’affirme Jake Sullivan , le conseiller à la sécurité nationale des
USA, permettrait de parachever dans de meilleures conditions l’encerclement
militarisé de la Chine.
Pour sortir de ce guêpier qui risque de conduire à une troisième guerre
mondiale (dont on sait depuis les travaux de Rosa Luxemburg que c’est
malheureusement une solution pour résoudre une crise du capitalisme) dans
laquelle on pourrait utiliser des armes nucléaires, il reste d’abord à régler
la question ukrainienne ; Ce qui implique que les USA acceptent les trois points
suivants :
·
neutralisation militaire
de l’Ukraine, comme l’est le Mexique pour les USA ;
·
mise en place d’un
referendum pour savoir ce que veulent les populations du Donbass et création d’un
statut négocié pour la Crimée ;
·
reprise des liens
commerciaux entre la Russie et l Europe occidentale ce qui implique de rompre
les liens de vassalité de l’Europe occidentale vis a vis des USA
[1] Dans les Einsatzkommandos, les prisons,
les camps de concentration et ailleurs, tous les groupes de l’OUN torturèrent
et exterminèrent de 1941 à 1944 avec le même entrain les Ukrainiens « non
loyaux », les juifs de toute nationalité, les Russes et les Polonais non juifs
(« entre 70 000 et 100 000 civils polonais ») : proclamés « ennemis de la
nation ukrainienne », tous étaient voués à l’élimination. L’autre partie des
assassins de l’OUN-UPA était à l’été 1944 restée en Galicie orientale désormais
soviétique. Clandestins, ils y menèrent, toujours stimulés par leurs clercs
uniates, une très efficace action meurtrière : « en Ukraine occidentale », des
« dizaines de milliers » de ces anciens policiers supplétifs des Allemands
tuèrent « 35 000 cadres de l’armée et du parti soviétiques entre 1945 et 1951 » Annie Lacroix-Riz, Impérialismes dominants en Ukraine ; de l’avant
1914 au sauvetage-recyclage des criminels de guerre bandéristes : 1890-1990. à paraitre aux éditions Delga.
[2] Les USA
confièrent la responsabilité de ce service au nazi Gehlen
qui avait supervisé les opérations allemandes à l EST durant la seconde guerre mondiale.Source Annie
Lacroix-Riz op. cit.