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(Number 8)
May 21, 2001 Grenoble, France
Mathieu O'Neil


The Readers’ Corner:

From Douglas Dowd :
     In a back and forth with my publisher in England I mentioned the Grenoble conference in January, and that he might be interested.  He wrote back immediately to say he would, and might even try to get to it himself, on the chance that there might be some potential books there....  He is Roger van Zwanenberg, of Pluto Press. You may remember Zed Press, which he created several years ago.

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Travailler pour une multinationale implique de respecter sa culture d’entreprise - un ensemble de consignes symboliques, au premier rang desquelles figure celle de ne pas porter atteinte aux intérêts de la “corporation” qui vous emploie. Quelle place sera réservée au libre-arbitre des journalistes, à leur rapport à l’information et à la vérité, dans le contexte actuel de constitutions de mégagroupes médiatiques? Comment les journalistes font-ils face aux conflits d’intérêts? Ces questions, il ne faut bien évidemment pas compter sur les mass médias pour se les poser à eux-mêmes. Où faut-il alors se tourner pour trouver une information réellement indépendante?

Le mouvement de consolidation dans le secteur des mass médias a son origine dans la politique de dérégulation menée aux États-Unis par le président Ronald Reagan, au cours des années 1980. Depuis, le volume des acquisitions n’a cessé de croître, pour aboutir à la constitution des mégagroupes médiatiques contemporains: Time-Warner (qui avait auparavant avalé CNN) fusionne avec America On Line (plus gros fournisseur de services Internet mondial); Capital Cities-ABC avec Disney; Viacom (réseau cablé, par ailleurs propriétaire de MTV) avec Blockbuster (location  de cassettes) et les studios de cinéma Paramount; la News Corporation acquiert les studios Fox; et ainsi de suite.

On aurait tort cependant de considérer que ces pratiques hégémoniques ne concernent que des conglomérats Nord-Américains: le modèle s’exporte facilement, et l’exemple de Vivendi, groupe français qui s’est porté récemment acquéreur des studios Universal, est là pour nous le rappeller. Il en va de même pour l’Italie, où l’alliance à composante néofasciste dirigée par M. Silvio Berlusconi a remporté les élections législatives. Pourtant le conflit d’intérêt qui le voit maintenant contrôler la quasi-totalité des chaînes de télévision de ce pays n’a en rien été résolu. M. Berlusconi est en effet propriétaire de Mediaset, qui comprend environ la moitié des chaînes italiennes. Désormais à la tête du gouvernement, M. Berlusconi se retrouve de facto responsable de la RAI, le groupe de télévision public, qui en constitue l’autre moitié.

On a parfois dit que l’Italie représentait un pas en avant dans la réalisation de la “société du spectacle”: une société où une surface médiatique mouvementée et changeante dissimule les pratiques occultes du capitalisme mafieux, qu’il s’agisse de pollution à la dioxine, de terrrorisme d’état, ou de collaboration entre les élites politiques et la “pieuvre” du crime organisé. Et la fusion étatique-médiatique que réalise en sa propre personne M. Berlusconi semble bien participer du même phénomène.

En fait, le cas italien ne représente que l’exagération de ce à quoi il faut légitimement s’attendre quand la trés grande majorité des médias mondiaux apporte un soutien sans faille à la cause du “néo-libéralisme”, de la “globalisation”, bref du capitalisme transnational: la disparition de ces mêmes médias des critères d’objectivité et d’analyse rationnelle, et la soumission sans faille des journalistes aux intérêts des dominants, c’est-à-dire à l’idéologie du marché-roi.

Pour AOL-Time Warner comme pour Vivendi-Universal, il importe d’intégrer les “contenus” médiatiques et les moyens techniques nécessaires pour les transporter, tels les réseaux de cable et de satellite. Les médias ne représentent donc plus qu’une branche, parfois mineure, au sein d’immenses conglomérats. Cela ne peut que contribuer a toujours plus orienter ces médias vers la rentabilité a court terme et la promotion de la consommation.

Les autres conséquences de cette intégration horizontale sont connues: la liberté d’expression et de choix est limitée, puisque seule compte l’audience. Tout ce qui est “sérieux” ou “difficile” est condamné: les reportages d’investigation sont abandonnés au profit de “l’infotainment”, c’est-à-dire de la vie des stars et de la promotion des productions hollywoodiennes. Enfin, les syndicats de journalistes sont affaiblis. Pour en savoir plus sur ces questions, nous vous recommandons l’Atelier no.13, article no.4 par Noam Chomsky, “What Makes Mainstream Media Mainstream”.

Mais cela ne nous indique pas quels sont les mécanismes qui permettent à la représentation médiatique de la réalité de se conformer aux intérêts des multinationales. Comment les choses se passent-elles, concrètement? Pourquoi tel dossier, grave et important, n’est-il jamais abordé? Qu’est-ce qui pousse les journalistes à traiter ce type de reportage plutôt que celui-la?

On est en présence de personnes réelles, avec des opinions personnelles, qui essaient d’effectuer une tâche pour laquelle elles ont été entrainées. Il ne s’agit pas de robots. Au contraire, pour que le système fonctionne, il faut que ces personnes soient convaincues d’exercer leur profession avec sincérité et spontanéité - même si cela implique un degré d’automystification. Voila ce qu’écrit Alain Accardo, Maître de conférences de sociologie à l’Université Bordeaux-III, auteur de Journalistes précaires (Le Mascaret, Bordeaux, 1998):

“Le champ journalistique, comme beaucoup d'autres, ne peut fonctionner qu'au prix de ce qu'il faut bien appeler une forme objective d'imposture, en ce sens qu'il ne peut faire ce qu'il fait, à savoir contribuer au maintien de l'ordre symbolique, qu'en faisant comme s'il ne le faisait pas, comme s'il n'avait d'autre principe que l'utilité publique et le bien commun, la vérité et la justice. S'agit-il d'hypocrisie ou de tartuferie ? Non. Aucun système quel qu'il soit ne peut fonctionner sur le mode de l'imposture intentionnelle et permanente. Il faut que les gens croient à ce qu'ils font et qu'ils adhèrent personnellement à une idéologie socialement approuvée. (…) Pour que la logique économique devienne hégémonique, il faut qu'elle se transmute dans la tête et le coeur des gens en une idéologie philosophique, éthique, politique, juridique, esthétique, etc., relativement autonome, faute de quoi ils percevraient le poids de l'économie sur leur destin comme une intolérable contrainte extérieure, dépourvue de toute légitimité, un épouvantable « matérialisme ».”

Il arrive cependant que certains se rebiffent et veulent dire la vérité telle qu’ils l’ont perçue. Il va alors s’agir, pour les rédacteurs en chef et directeurs de la rédaction qui font régner la  discipline idéologique, de les ramener dans le droit chemin. Dans la plupart des cas, il s’agit d’une gestion euphémisée des conflits, sans faire de vagues. L’un des grands mérites du film, Fear and Favour in the Newsroom, que l’Atelier No. 13 du CIESIMSA a présenté jeudi 10 mai, lors de la deuxième conférence du Centre, est de montrer justement comment les choses se passent dans ces cas-là, aux États-Unis.

Un exemple de conflit d’intérêt, souvent cité, est le grand “réseau” de télévision nord-américain NBC, qui appartient à General Electric. Si l’époque ou les trois “networks” dominaient sans partage le champ mass-médiatique aux États-Unis est révolue, il n’en demeurent pas moins très puissants. NBC constitue le prototype de ce qu’il advient de la fameuse indépendance du “quatrième pouvoir” quand elle doit se conformer au moule de la “corporation”, de la multinationale. Comme Silvio Berlusconi, General Electric est une entreprise qui devrait être soumise à l’investigation des médias, non propriétaire de ceux-ci. C’est une multinationale géante qui produit, entre autres, de l’énergie nucléaire et des armements.

Comment, quand on est un journaliste employé par GE, échapper au sentiment que l’on fait partie d’une firme de bon aloi et qu’il serait de mauvais goût de poser des questions frontales? Comme le dit l’un des journalistes interviewés au cours du film, l’atmosphère qui est générée est celle d’un “environnement d’entreprise” (corporate environment) et il est fort difficile de s’en détacher, en se plaçant ainsi en porte-a-faux par rapport aux autres employés.

Le contrôle s’exerce donc avec subtilité. Nul besoin de censure brutale, ou de note sur le tableau d’affichage: un employé auquel on répond, a une proposition d’article “Est-ce vraiment pour nous? Est-ce que cela va occasionner beaucoup de déplacements? Tu n’as pas autre chose en réserve?” – cet employé comprend très vite et s’abstiendra à l’avenir d’aborder les sujets qui fachent… s’il veut conserver son emploi. Et s’il faut vraiment mettre les points sur les “i”, alors pourquoi ne pas faire comme le président de NBC, Allan Gartner, qui affirme froidement au cours du documentaire: “l’énergie nucléaire est l’une des plusieurs centaines de choses auxquelles je ne connais a peu près rien; et je ne pense pas que le public s’y intéresse beaucoup plus.”

Il arrive cependant que des informations embarrassantes pour les “corporations” soient rendues publiques. Dans ces cas-la, deux solutions: la première est le remaniement des données pour en modifier le sens ou la portée. C’est ici l’exemple de PBS.  Aux États-Unis, où la quasi-totalité des médias sont privés et à but commercial, existent quelques exceptions; la chaine PBS (Public Broadcasting Service) fait partie de ceux-ci; et le MacNeil-Lehrer Hour est son fleuron: une émission d’actualité quotidienne qui constitue une référence de sérieux, pour les médiatiques américains en tout cas.

Quelle surprise donc de découvrir qu’un reportage sur la résistance locale à l’implantation d’un centre de stockage de déchets nucléaires fut remanié d’instructive façon: le journaliste auteur du reportage déclare que le nouveau montage fait passer la population locale, légitimement opposée à ce projet, pour une horde de cinglés (kooks) décidés à mettre fin par tous les moyens au progrès technique et scientifique. Il a suffi de retirer toutes les images montrant des centres de stockages similaires, assortis d’un commentaire détaillant les graves problèmes de sécurité qui y avaient eu lieu.

La première solution est donc de “remixer pour neutraliser”. La deuxième solution, pour faire face à la publication d’informations sensibles, est de faire pression directement sur les journalistes; voire, s’ils refusent de comprendre, de les renvoyer. C’est ainsi que se passent les choses dans la presse écrite, depuis le prestigieux New York  Times jusqu’au Constitution Journal d’Atlanta. Dans les deux cas, on fait comprendre à des journalistes d’investigation un peu trop efficaces qu’ils devraient éviter de s’attaquer à des intérêts puissants, qui siègent parfois au conseil d’administration du journal.

Au Journal d’Atlanta, le rédacteur en chef soutient des journalistes qui découvrent que les banques locales réchignent à prêter de l’argent aux demandeurs noirs. Certains des membres du conseil d’administration sont des banquiers; certaines banques prennent des annonces dans le journal; tout ce monde n’est guère satisfait. Il en va de même pour un reportage critique envers Coca-Cola, l’entreprise-phare de la ville. Le rédacteur en chef audacieux va démissionner et le journal va réparer sa faute en publiant en première page des discours pleins d’entrain du président de Coca-Cola. Malgré tout, le propriétaire du Journal déclare “nos annonceurs n’exercent rarement des pressions à notre égard car ils savent qu’alors nous perdrions notre crédibilité…”

C’est même sans doute vrai: quel besoin d’exercer de maladroites pressions directes, quand dans la plupart des cas l’autocensure a été parfaitement intégrée par les journaliste?

L’alternative réside bien sûr dans le soutien aux médias rééllement indépendants, tels Z Magazine (www.zmag.org) ou The Nation (www.thenation.com). Nous vous recommandons à ce propos de lire l’Atelier no.13, article no.5, “What Makes Mainstream Media Mainstream” par Michael Albert, ainsi que l’ensemble de l’Atelier 19, qui propose des articles détaillant les processus de résistance aux multinationales. Le développement d’Internet offre aux publications alternatives une audience globale. Si elle est encore limitée, elle ne cesse de croître: mais encore faut-il accomplir l’effort individuel de ne pas se laisser aller à la facilité, et de partir en quête d’informations qui ne dépendent pas des diktats de l’industrie médiatique.

 

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